Sans titre (Septimanie)
Sans titre (Septimanie), 2015
Bois, polystyrène extrudé, crépis, peinture acrylique
310 x 280 cm l’ensemble sur 12 cm d’épaisseur
Exposition In situ Patrimoine et art contemporain
Château de Baulx, Saint-Jean-de-Buèges
Commissariat : M-C Allaire Matte
MATTHIEU HUSSER Sans titre (Septimanie)
Marie-Caroline AllAiRe-MAtte : Votre nom et votre travail sont associés à des réalisations in situ : vous intervenez sur chacun des sites grâce à un langage visuel qui perturbe les codes établis – logos, pictogrammes ou lettres. les moyens techniques mis en œuvre permettent des effets comparables à ceux du trompe-l’œil, mais en y ajoutant le relief. Vous avez réalisé en 2014, sur un mur extérieur de l’église Saint-Nicolas-des-eaux à Pluméliau, le symbole de Facebook, d’une manière très mimétique, faisant apparaitre l’ambiguïté de la forme, croix et/ou crosse, de cette icône de l’ère numérique. il s’agissait d’un symbole communautaire contemporain et fortement technologique confronté dans ce contexte à celui d’une autre communauté, religieuse dans ce cas. ici, comment s’est fait le choix du symbole pour votre intervention sur le mur de la tour du château de Baulx ? Aviez-vous pensez à d’autres propositions ?
Matthieu HUSSER : Lors de mes interventions in situ, mes recherches se basent en général sur l’histoire du lieu, les liens symboliques que je tente de détourner selon le contexte pour produire une sorte d’anachronisme. Dans le cas du château de Baulx, le choix du logo du Languedoc-Roussillon m’a immédiatement paru évident, par rapport à l’histoire mais aussi au temps. J’ai d’abord remarqué le mât du drapeau et l’absence de drapeau. Le choix du trompe-l’œil en relief est une façon de laisser imaginer que ce signe a traversé le temps, un peu comme l’idée de Septimanie qui date du Vème S. La technique permet de respecter l’aspect chromatique du mur et de rester ainsi le plus discret possible pour ne faire apparaitre que la forme du signe. Je n’ai pas vraiment pensé à d’autres propositions: j’avais seulement regardé d’anciens logos que j’aurais pu moderniser. S’il y avait eu un drapeau, je n’aurais pas pu faire ce choix. Le projet aurait été différent.
M-C.A-M. : Nous sommes de plus en plus sollicités par des signaux visuels. Ce langage fonctionne comme un raccourci: il doit être vu et compris quasi simultanément. Mais dans le cas du logo que vous avez utilisé et reproduit, c’est le contraire: la compréhension est ralentie par le mimétisme minéral de la reproduction qui interroge plus qu’il ne souligne. Quelle est la fonction de ce «piège» tendu au visiteur?
M.H. : Il ne s’agit pas d’un piège; il s’agit plutôt de rappeler, avec un peu d’ironie, l’histoire et le devenir d’une région en interpellant le visiteur qui regarde un château du Moyen Age et de le confronter à un graphisme contemporain. La question du ralenti permet d’imaginer que le logo a toujours été sur le mur (ce qui est arrivé souvent lors d’autres interventions dans l’espace public). Ensuite ce temps de réflexion peut favoriser des lectures différentes. Je me souviens des réactions devant le logo de Facebook, les gens ont exprimé des interprétations ouvertes, ceux qui pensaient à une croix, d’autres à une serrure (ou encore à une climatisation). Le public s’approprie souvent, en lui donnant le sens qu’il veut, ce type d’installation. Surtout quand il s’agit de lettres: en une année, j’ai reproduit diverses lettres, des logos ou typographies spécifiques – le S de la SERNAM, ou le AD et le MF d’anciens grands noms de l’industrie textile ou le F de Facebook.
Ici, il a fallu intervenir plus haut que ce que j’avais prévu, pour des raisons techniques liées à la rénovation du mur. Je préfère intervenir à hauteur du regard et que ce soit perçu comme un tag. En même temps, ce château est visible de très loin, il fallait donc produire un signe très frappant pour qu’on le perçoive en arrivant.
M-C. A-M. : inscrit sur le mur de ce château, imitant les vieilles pierres de cette tour moyenâgeuse, le logo du languedoc- Roussillon nous renvoie à la fois à une histoire passée mais aussi plus récente avec la création de cette Région et actuelle avec sa future disparition. Donc ce logo anticipe indirectement sur le futur géopolitique, puisque la fusion de la Région l-R. avec Midi-Pyrénées produira un nouveau nom qui s’incarnera dans une nouvelle image. le patrimoine témoigne de cette « absorption » permanente des signes et des symboles avec lesquels nos civilisations communiquent de plus en plus vite. Y-a-t-il une place pour l’artiste dans ce renouvellement incessant et rapide des codes visuels?
M.H. : Au moment de la fusion des Régions, ce logo va rentrer dans le patrimoine, dans l’histoire. C’est vraiment ce qui m’intéresse. Il va disparaitre. C’est souvent au cœur d’un changement politique et social, réalisé ou anticipé que se situent mes interventions. Il s’agit de déplacer un code de communication visuelle ou d’en inverser la lecture pour produire du sens. Ou encore de s’approprier certaines typographies, comme dans l’intervention sur le mur en
briques rouges de l’usine où j’ai utilisé celles de H&M pour écrire les initiales des fondateurs de cette usine textile M&F, dans la société cotonnière du Touquet à Tourcoing, aujourd’hui fermée. Le rôle de l’artiste, c’est le décryptage des images. Warhol l’a très bien fait. Je suis vigilant, c’est également une façon de me protéger.